Dans la première partie de ce grand portrait consacré à Tony Estanguet, vous avez découvert sa préparation minutieuse pour consacrer sa seconde carrière aux grandes instances sportives. Une reconversion préparée comme une campagne politique et achevée dans la gloire olympique du bassin des Jeux de Londres en 2012.

Dans cette deuxième partie, vous verrez comment le champion s'est imposé auprès des décideurs politiques, notamment Anne Hidalgo et François Hollande, pour incarner la nouvelle chance de Paris dans sa conquête olympique. Mais aussi comment il s'est entouré de deux fidèles, Etienne Thobois et Michaël Aloïsio, pour exercer le pouvoir en trio.

3. La conquête des Jeux

Dans l’euphorie, le président Hollande évoque publiquement une nouvelle candidature de la France aux JO. Feu vert à une étude officielle d’opportunité sur le sujet. Anne Hidalgo est furieuse. On la met au pied du mur alors qu’elle a été traumatisée par l’échec des précédentes candidatures et qu’elle est maire de la ville hôte. En coulisses, les caciques du mouvement sportif caressent depuis 2011 l’espoir d’une nouvelle tentative. «Vous devriez moins politiser les candidatures», avait conseillé le CIO aux Français. Ex-ministre des Sports, Jean-François Lamour s’en souvient: «Ils trouvaient les politiques trop instables, rarement en place assez longtemps pour assumer leurs engagements

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A Matignon et à l’Elysée, les conseillers Hakim Khellaf et Thierry Rey militent pour que la conception, dominante en France, du sport spectacle fasse place à une politique de développement social, économique et culturel par le sport. «On avait besoin d’un défi identitaire, on rêvait de réparer la fracture sociale, affirme Khellaf. Les JO pouvaient servir d’accélérateur de développement.» A l’automne 2012, il reçoit Tony Estanguet, qui lui détaille ses 90 secondes de course. «J’avais tout en tête, narre le médaillé d’or. Un coup de pagaie d’une fraction de seconde peut avoir un effet fatal, tout doit être anticipé et calculé pour gagner.»

Le conseiller est bluffé: «J’ai su que c’était lui qui devait porter les Jeux. Il est l’incarnation du modèle sportif français. Rey était d’accord.» Tony Estanguet est détaché de son poste de prof de sport à 2500 euros par mois. La ministre des Sports,Valérie Fourneyron, veut l’aider. «Mais il n’avait pas très envie que les politiques s’en mêlent», dit-elle.

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Pour ses déplacements parisiens, Tony Estanguet ne jure que par le vélo (4 mars 2024) Sophie Brandstrom pour Capital

Les Français se savent à l’époque faibles en influence diplomatique dans le milieu olympique. En mai 2013, un lobby ad hoc est créé, le Comité français du sport international (CFSI). Valérie Fourneyron confie une étude sur les leçons à tirer des précédents échecs des candidatures aux JO à Keneo, une agence de marketing sportif dont Etienne Thobois, ex-champion de badminton, est alors le patron. «Notre première réunion a eu lieu en août 2013, avec Etienne et Tony», raconte Michaël Aloïsio, directeur général délégué du Cojop. Ce trio-là deviendra le noyau de l’état-major de Paris 2024. Un quatrième personnage, à la tête du CFSI, va jouer alors un rôle majeur: Bernard Lapasset, patron charismatique de la Fédération de rugby, prend le dossier JO en main et le canoéiste sous son aile. «Il a imposé à Tony une période d’incubation médiatique et technique qui lui a tout appris», murmure une proche. En 2015, l’étude d’opportunité est rendue, les autorités disent «banco!».

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Lapasset et Estanguet sont coprésidents du comité de candidature. Le projet est solennellement lancé en février 2016, avec un message claironné: «Le sport prend le pouvoir!» Au point que Thierry Reboul, expert en événementiel recruté comme maître des cérémonies, envisage d’installer les athlètes à l’Assemblée nationale, avec Estanguet à la place du Premier ministre et le champion olympique Guy Drut à celle de la présidente. Faute d’accord, le projet se replie à la Philharmonie de Paris. Lapasset s’efface au profit d’Estanguet qui, ce jour-là, devant les autorités de la ville, de la région et de l’Etat, devant 3000 jeunes qui crient et des millions de téléspectateurs, se carre dans son destin. Il plaide avec émotion pour des Jeux exemplaires, décentralisés, sobres, populaires, patrimoniaux, écologiques, paritaires, incluant le handisport.

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Le président de Paris 2024 enchaîne les réunions, comme ici à la Délégation interministérielle aux Jeux olympiques et paralympiques (Dijop) Sophie Brandstrom pour Capital

Ce méticuleux a bossé comme un possédé, réécrivant 30 versions de son discours, ne laissant aucun détail dans le flou. «Tony vit ses échéances comme s’il visait à chaque fois la médaille d’or», observe Sophie Guillon-Morel, alors en charge de la communication. Il quête des conseils, les suit à moitié. «C’était SON discours», insiste Mercedes Erra, la patronne de l’agence de pub BETC, dont les équipes ont concocté le slogan lancé ce soir-là: «La force d’un rêve». Anne Hidalgo lui a prêté sa plume, François Esperet, resté frappé, dit-il, par l’obsession du champion de «ne pas mentir, exagérer, affabuler». Là se niche l’orgueil de Tony Estanguet: conseillé par sa psy, il tient à gagner avec ce qu’il est. En mieux. Il prend des cours d’anglais et d’art oratoire.

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A Lausanne, lorsqu’il planche en juillet 2017 aux côtés d’Emmanuel Macron pour arracher la décision du CIO en faveur de Paris contre Los Angeles, Estanguet s’obstine à jouer tout ce qu’il est, y compris le tombeur malheureux d’un frère tant admiré. «Puis, sans se dégonfler, raconte Aloïsio, il est allé à New York défier nos concurrents américains et les convaincre de se rabattre sur les JO de 2028. Ils ont jeté l’éponge.»

4. Le pouvoir en trio

Estanguet reste en apnée jusqu’au vote de Lima, au Pérou, en septembre. Dès lors, le Cojop est mis sur pied. «Pour la première fois, le mouvement sportif est majoritaire (55%) dans une telle structure, se félicite Denis Masseglia. L’Etat, la région et la ville se partagent les 45% restants.» Physiquement affaibli, Bernard Lapasset se replie sur une présidence d’honneur. Tony Estanguet s’impose à la tête du Cojop. C’est son heure. Le canoéiste s’arrime au trio qu’il forme avec Etienne Thobois et Michaël Aloïsio. Pour le poste de directeur général, il doit se soumettre à la décision du comité de sélection. Anne Hidalgo pousse un candidat, Jean-Claude Blanc (alors DG du PSG), vite écarté. Restent en lice quatre personnes, dont Amélie Oudéa-Castéra qui, selon un témoin, livre une «remarquable» prestation; Estanguet menace de démissionner s’il ne peut avoir Thobois, très bon aussi, pour bras droit. «C’était ma condition, confirme le président du Cojop. Je voulais choisir mon équipe.» Le comité s’incline. Le triumvirat agacera.

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Une seconde structure publique, la Solideo, est fondée pour gérer la création de l’ensemble des ouvrages olympiques. Au Cojop, Tony Estanguet se donne en 2017 un double défi: tenir son budget (4,4 milliards d’euros) et orchestrer des JO qui marqueront l’histoire. Mais lui qui se sent plus à l’aise avec les experts doit d’abord gérer ses relations avec les pointures politiques, les patrons du CAC 40, les cadors du sport, tous ces gens qui le prenaient pour une tête de gondole, juste l’athlète caution d’un projet pharaonique géré par d’autres. Or le champion sait slalomer. Y compris avec les politiques, qu’il a toujours tenus à distance, déclinant les avances du maire de Pau François Bayrou alors que son frère Patrice fut conseiller municipal sous André Labarrère. Le jeu consiste à les câliner tout en leur résistant.

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Avec son bras droit, Etienne Thobois, avant de monter sur scène de la Paris La Défense Arena lors de la convention des bénévoles le 23 mars 2024 Sophie Brandstrom pour Capital

«Estanguet est beaucoup plus politique qu’on ne l’imagine, observe François Hollande. Sous son physique de gentil garçon et ses dons d’orateur, il a compris les codes, il s’est bien protégé, il est malin. Il veut gérer la puissance publique en direct, quitte à faire sauter ses directeurs des relations publiques.» Agacée par son autorité, Anne Hidalgo tient une revanche quand, en juin 2019, dans son bureau de l'hôtel de ville, elle annonce à Patrick Pouyanné que les JO se passeront du sponsoring de Total, dont il est le patron, alors que le Cojop a négocié avec le groupe pétrolier un contrat à neuf chiffres.

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Amélie Oudéa-Castéra, elle aussi, garde à Tony, qui l’a snobée, un chien de sa chienne. La ministre des Sports, qui fait le point tous les quinze jours avec Estanguet, loue désormais la «fluidité» de leurs relations: «Sain et constructif, il cherche à fédérer.» Et le triumvirat se fait plus diplomate. Ainsi, il cesse d’envoyer aux membres du conseil d’administration ses ordres du jour la veille de leurs réunions, leur permettant ainsi de préparer leurs réponses.

Dans le dernier épisode, vous découvrirez comment Tony Estanguet est allé négocier en personne les premiers contrats de sponsoring avec les grands groupes français, l'argent du privé étant un pilier essentiel du modèle d'affaire de Paris 2024. Vous lirez aussi comment il a retourné des PDG récalcitrants et débauché des spécialistes de l'événementiel. Enfin, vous saurez tout sur la polémique qui entoure son salaire.